Denys Caron : aux quatre coins des faubourgs
Denys Caron est une figure bien connue du quartier : il a marqué le paysage culturel du Centre-Sud depuis son arrivée à Montréal en 1993. Passionné et engagé, Denys Caron a participé à plusieurs projets marquants du quartier : la construction du théâtre Prospero, le mouvement en faveur de l’établissement de la BAnQ à son emplacement actuel, la fondation de Voies culturelles des faubourgs et bien d’autres encore jusqu’à son installation à titre de codirecteur général et directeur administratif d’Espace libre en 2007.
Artiste avant tout
Quand je lui demande de me raconter le parcours qui l’a mené au travail culturel, Denys commence par me parler de la pièce de théâtre dans laquelle il a joué au primaire. Il n’a pas eu le rôle principal, mais qu’à cela ne tienne : il n’en fallait pas plus pour allumer l’étincelle et diriger sa vie vers le théâtre. Recherchant les programmes de théâtre au secondaire et n’en trouvant aucun qui corresponde à ses standards à cette époque de réforme scolaire, il quitte l’école et s’engage à l’usine. La fabrication de roulettes de lit en série ne réussira toutefois à détrôner le théâtre que temporairement : la scène l’appelle à nouveau. Une fois le secondaire terminé à l’école pour adultes, le cégep est l’occasion de monter quelques pièces et d’explorer ses talents de comédien et de metteur en scène. Sa passion et son engagement pavent également la voie à son futur métier. Il co-fonde un café culturel dans un ancien manège militaire à Windsor où il projette notamment des films d’animation de l’ONF. Ensuite, étudiant en théâtre à l’Université de Sherbrooke, il se concentre sur la mise en scène et la production.
À sa sortie de l’école, il travaille pendant 10 ans pour la compagnie Entre chien et loup tout en poursuivant le jeu et la mise en scène. Multi-talentueux et motivé, « un peu hyperactif », il y assure le poste de directeur administratif pendant 7 ans et de directeur artistique pendant 3 ans, en plus de faire quelques mises en scène et de donner des ateliers de théâtre au Cégep de Sherbrooke. Il siège à la même époque à la table Théâtre du Conseil régional de la culture de l’Estrie qui se bat alors pour obtenir un lieu de diffusion local. Il continue aussi à se perfectionner en suivant des cours d’administration au Conservatoire d’art dramatique et en suivant le cursus de mise en scène à l’École Nationale de Théâtre. À cette époque, ses horaires sont chargés et sa voiture fait du millage. Ce n’était bien sûr que le début.
Après une décennie avec Entre chien et loup, l’envie de monter ses propres projets le travaille. La compagnie prend un tournant résolument jeunesse et Denys désire adapter Les reines de Normand Chaurette en tragédie musicale : leurs chemins se séparent. Il déménage alors à Montréal pour développer sa carrière d’acteur. Fraîchement débarqué d’Estrie, il doit se trouver une agente : « Ça a beau faire 15 ans que tu travailles, à Montréal, t’es personne : tu repars à zéro ». En parallèle de ses auditions, il décroche un petit contrat de comptabilité à La Veillée. C’est là que ce fera la croisée des chemins.
De la scène aux coulisses
Sa carrière de comédien commençait à prendre de l’envol : il avait obtenu quelques rôles à la télévision. Dans une scène d’un épisode de Scoop, dont les cotes d’écoute étaient vertigineuses, il va chercher son enfant et le personnage de Roy Dupuis le prend pour un kidnappeur. Apparemment, le lendemain de la diffusion, on lui lance de drôles de regards au Pat et Robert, le dépanneur à proximité de ce qui deviendra le Théâtre Prospero. C’est toutefois justement à ce moment qu’il sera appelé à construire le Prospero. Le Groupe de La Veillée souhaite l’engager à plein temps, juste à temps pour la création de leur lieu de diffusion. Quitter la scène pour les coulisses : la décision est difficile. Il va voir sa mère en Estrie pour la consulter. Après l’avoir écouté, elle déclare « Fais ce que tu veux ». Il devient alors officiellement directeur administratif de La Veillée. Des regrets ? « Non pas du tout je n’ai aucun regret. Je pense que j’ai fait des plus grosses mises en scène que bien du monde en construisant un théâtre et en m’impliquant dans différents organismes ».
Denys arrive à un moment clé : c’est lui qui coordonnera l’aménagement du lieu de diffusion de la compagnie. Un défi de taille, le premier d’une longue série. À l’époque du Prospero, il renoue avec son implication citoyenne. Il organise des spectacles avec les jeunes de l’école primaire adjacente, l’École Marguerite-Bourgeoys, et coordonne des représentations spécialement pour les plus démunis. C’est le début d’une longue implication qui ne tarira jamais dans le quartier Centre-Sud.
Pour l’amour de Centre-Sud
En 2001, Denys Caron et Michel Gendron militent pour que la Grande bibliothèque s’installe dans Centre-Sud. Ils tiennent une conférence de presse dans la cour du Palais du commerce, qui les débranchera. Le Palais les laissait faire jusqu’à ce qu’il réalise que le plan impliquait de de se faire démolir ! La conférence de presse est bien reçue et Lise Bissonnette appuie le mouvement de l’est de Montréal. On connaît le résultat : la BAnQ trône maintenant entre Ontario et Maisonneuve. Cette victoire motive Denys : « On s’est rendu compte qu’en se mettant en gang, on faisait bouger les choses ». Ainsi naît Voies culturelles des faubourgs. Il en deviendra DG pendant une courte période lorsqu’il quittera le Groupe de la Veillée.
Après avoir collaboré à la planification du 15e Congrès et Festival mondial de l’ASSITEJ pour le compte des Coups de théâtre et été directeur administratif de l’Association québécoise de théâtre, qui produisait alors le Gala des Masques, Denys revient sur le territoire de VCF en 2007 après un appel d’Espace Libre. Son implication communautaire l’a fait connaître et c’est une qualité qui s’accorde bien avec le mandat de ce théâtre. Son premier mandat a été d’implanter une politique de diffusion, un cachet de base pour les artistes qui composaient la programmation : « Je ne voulais pas que les artistes quittent Espace Libre avec des dettes ». En 12 ans, il a travaillé avec trois directeurs artistiques différents – Olivier Kemeid, Philippe Ducros et Geoffrey Gaquère – et en est maintenant à coordonner le chantier de rénovation du théâtre. Un autre défi! Au cours de ces années, Denys a également été directeur administratif pratiquement bénévole du Théâtre le Pont Bridge durant 13 ans et membre des conseils d’administration des feux Corporation de développement économique et communautaire du Centre-Sud et du Regroupement des professionnels et commerçants de la rue Ontario. Ses horaires n’ont jamais cessé d’être chargés depuis l’époque d’Entre chien et loup !
Denys se dit heureux d’avoir consacré sa vie à la culture. Pour lui, la culture est non seulement un moteur de développement économique considérable, mais elle est surtout cruciale dans l’identité québécoise. Pour lui, notre effervescence culturelle est intimement liée à « notre habitude au combat, à notre combativité ». C’est entre autres pour cela qu’il continue de s’impliquer au quotidien pour la place de la culture, notamment en siégeant au CA de Voies culturelles depuis des années et particulièrement dans le cadre du PPU des Faubourgs : « Il faut absolument que la culture prenne la place qui lui revient, comme sens d’épanouissement du quartier ». Selon lui, le peuple est un peu endormi ces temps-ci, écrasé, mais « c’est la culture qui va réveiller la fierté. Il faut se reprendre en mains. C’est la culture qui va nous permettre de passer à travers ».
Particulièrement dans Centre-Sud, qui, pour lui, est un parfait microcosme de ce qu’est le Québec : histoire ouvrière, diversité et vitalité culturelle. Selon lui, ce n’est pas pour rien que tous les précurseurs se sont établis ici : « Le NTE, le Théâtre expérimental des femmes, le Groupe de la Veillée, Carbone 14… Centre-Sud, c’est un véritable incubateur pour la culture montréalaise. » Et Denys Caron fera tout en son pouvoir pour que ça le demeure!
Un texte de Virginie Savard
Ce texte est d’abord paru dans notre infolettre.
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