Politique culturelle du Québec : quels impacts pour le milieu ?
Le processus est en marche depuis longtemps et c’est finalement hier qu’a été dévoilée la nouvelle politique culturelle du Québec par la ministre Marie Montpetit. Il s’agit d’un projet de longue haleine alors que le Ministère de la Culture et des Communications a vu se succéder trois ministres. S’étant déployées sur deux ans et dans 17 régions de la province, les consultations du milieu culturel et des citoyen.ne.s (auxquelles Voies culturelles avait participé) avaient commencé en juin 2016 alors que Luc Fortin était ministre de la Culture et des Communications. Hélène David, ministre jusqu’en 2016, avait quant à elle contribué à mettre au point le Plan culturel numérique. Partout la culture est la deuxième politique culturelle du Québec; elle se base sur les mêmes grandes orientations que celle de 1992, mais s’adapte aux nouvelles réalités, telles que le numérique, la diversité culturelle et la mondialisation. Il est toutefois à noter que, puisque l’Assemblée nationale fait relâche pour l’été à partir de vendredi, il y a peu de chances que la politique soit adoptée avant le déclenchement de la campagne électorale. Pour l’instant, il s’agit plutôt d’une reconnaissance des enjeux que le début officiel des actions, plutôt d’une plateforme électorale qu’un plan adopté.
La nouvelle politique culturelle était attendue à la fin de 2017, mais a été reportée de plusieurs mois. Si certain.e.s y voient une manœuvre électoraliste, le Premier ministre Philippe Couillard a affirmé lors du dévoilement qu’il s’agissait plutôt d’attendre le « cadre budgétaire », déposé le 27 mars dernier, avant de présenter le plan d’action complet et qu’il s’agit du fruit d’un long processus. Certaines mesures avaient déjà été annoncées à l’annonce du budget 2018-2019 – nous en avions parlé alors – mais plusieurs lignes des tableaux explicatifs indiquaient textuellement « Autres mesures de la politique culturelle ». Hier, c’est près de 600,9M$ sur cinq ans qui ont été annoncés pour les différentes mesures du plan d’action, dont, selon le Premier ministre Couillard, « 90% d’argent neuf ». Ce dernier a également souligné l’importance économique du secteur est un facteur important de prospérité et de reconnaissance internationale. La culture représente 3,4% du PIB du Québec et de 176 000 emplois à l’échelle de la province. Que représente donc cette nouvelle politique pour ceux et celles qui font la culture ?
Quatre orientations principales et des engagements particuliers : bref résumé de la politique culturelle
La nouvelle politique culturelle s’articule autour de quatre grandes orientations :
- « Contribuer à l’épanouissement individuel et collectif grâce à la culture » (112M$) qui couvre une participation de tou.te.s à la vie culturelle en français et l’arrimage de la culture avec la politique de réussite éducative et les secteurs sociaux ;
- « Façonner un environnement propice à la création et au rayonnement des arts et de la culture » (142,8M$) qui favorise la création, la production et la diffusion de l’art québécois, le développement à l’international et qui vise l’amélioration des conditions socio-économiques des artistes et des travailleur.se.s culturel.le.s ;
- « Dynamiser la relation entre la culture et le territoire » (177,9M$) qui a pour objectif d’améliorer la qualité de vie par la culture, de mettre en valeur le patrimoine, de permettre la diversité des initiatives des acteur.rice.s locaux.les selon les particularité des régions et de miser sur la vitalité de Montréal et de Québec ;
- « Accroître l’apport de la culture et des communications à l’économie et au développement du Québec» (168,2M$) qui favoriserait l’entrepreneuriat culturel et l’économie numérique, encourage les partenariats et l’apport des autres secteurs.
Une partie de la politique culturelle est également consacrée aux engagements particuliers à l’égard des Autochtones (16,19M$). Le plan d’action Faire plus, faire mieux se propose de« favoriser la contribution des Premières Nations et des Inuits au dynamisme culturel du Québec» ainsi que de « valoriser les langues autochtones comme vecteur essentiel du développement des sociétés autochtones ».
Marie Montpetit a présenté avec fierté sa politique et a identifié plusieurs « repères consensuels» durant les consultations qui avaient permis l’élaboration du document. Nommons notamment la valorisation du français (11,5M$), le soutien au CALQ (66M$) et à la SODEC (50,2M$) en plus d’une révision de la loi constitutive de cette dernière, l’accès à la culture pour tou.te.s, et ce, dans leur milieu de vie (10M$), l’inclusion des autochtones et des anglophones, le soutien à la vitalité de régions (21M$) et la présence de contenu francophone en ligne (13,7M$). Le fonds du patrimoine québécois sera bonifié (35,5M$) et valorisé (5M$), le patrimoine religieux sera entretenu et/ou reconverti (25M$) et une stratégie gouvernementale en architecture sera conçue et adoptée. La jeunesse est particulièrement ciblée par cette politique : puisque, comme Marie Montpetit l’a souligné en conférence de presse, les habitudes culturelles se développent entre 4 et 11 ans, 65,5M$ seront consacrés à permettre aux jeunes d’avoir accès à la culture par des sorties culturelles en classe et en services de garde. Sans traverser l’ensemble des 41 mesures proposées dans le Plan d’action gouvernemental en culture 2018-2023, nous nous pencherons sur certains objectifs qui nous toucheront plus directement, via nos membres.
Statut de l’artiste et conditions de travail en milieu culturel
On en avait déjà parlé ici lorsque l’Étude nationale sur la rémunération 2017. Gestion et administration des organismes artistiques sans but lucratif du Conseil des ressources humaines du secteur culturel a été publiée : les conditions socio-économiques dans le milieu culturel sont parmi les moins avantageuses et sont en régression depuis les dix dernières années. La politique culturelle promet de s’attaquer à ce problème. La ministre a souligné que la précarité dans laquelle vivaient les artistes n’étaient pas cohérente avec leur importance dans la société québécoise. L’objectif 2.5 s’intitule « Améliorer les conditions socioéconomiques des artistes professionnels et des travailleuses et travailleurs culturels ». Le Ministère se donne un budget de 5M$ pour « [m]ettre en œuvre des solutions concrètes à la problématique de l’emploi, de la rémunération et de la protection sociale des artistes professionnels et des travailleuses et travailleurs culturels » (mesure 16). Le plan d’action 2018-2023 prévoit :
- La révision des deux lois sur le statut de l’artiste [datant de 1987] ;
- La conclusion d’une entente avec la CNESST pour protéger les artistes du cirque lors de leurs entraînements;
- La création d’un guichet unique d’aide et d’accompagnement pour les victimes d’agressions sexuelles et de harcèlement;
- L’offre de formation pour sensibiliser l’ensemble du secteur culturel québécois à la prévention des agressions sexuelles et du harcèlement;
- La mise en œuvre de services d’accompagnement pour faciliter la transition de carrière des artistes des arts de la scène (danse, cirque, théâtre et musique).
- L’amélioration de la connaissance des conditions socioéconomiques des artistes et des travailleuses et travailleurs culturels;
- L’examen de moyens pour améliorer l’accès des artistes et des travailleuses et travailleurs culturels à un régime de retraite, à des assurances collectives et à des mesures fiscales adaptées à leur réalité;
- L’obtention d’une reconnaissance des métiers traditionnels dans le domaine du bâtiment par l’industrie de la construction et élaboration d’un programme de formation pour assurer la transmission des savoir-faire liés au patrimoine bâti.
L’entente pour protéger les artistes du cirque, l’aide à la transition et la mise en place de mesures pour prévenir le harcèlement sont de bons pas en avant. Pour l’instant, pour ce qui est des conditions de travail, il s’agit principalement de la reconnaissance des problèmes et de projets pour améliorer la connaissance qu’a le gouvernement de ceux-ci.
Une autre mesure (17) propose quant à elle d’investir 14,3M$ afin de « [b]onifier l’accès des artistes et des travailleuses et travailleurs culturels à la formation » en continu et dans les institutions. Notre membre l’École nationale de l’humour a d’ailleurs bénéficié d’une bonification du soutien qu’elle reçoit afin de mieux servir ses étudiant.e.s.
Reconnaissance de l’improvisation théâtrale
Dans l’objectif 2.2, « Favoriser la diversité des formes d’expression artistique et culturelle », il est souligné que celle-ci « s’exprime notamment par les modes de création et de production des artistes, et elle est caractérisée par leur vision du monde et les multiples influences dont ils se nourrissent » et que « les balises qui encadrent le soutien public à la création et à la production culturelle doivent avoir la souplesse requise pour accueillir à la fois [des formes artistiques] qui n’entrent pas dans les catégories actuelles » (Partout la culture, p. 24), telles que l’improvisation théâtrale. Les mesures 2 et 9 la cible directement comme outil d’intervention sociale et scolaire. La LNI s’était vu confirmer l’intention du gouvernement de soutenir leur art et favoriser sa pratique et son financement lors d’un vote de reconnaissance unanime, le 20 octobre 2016, à l’Assemblée nationale. Si cela n’est malheureusement pas explicitement énoncé dans le document de la Politique culturelle, Marie Montpetit a mentionné, lors du dévoilement, une collaboration avec la LNI, afin de mieux servir l’improvisation théâtrale. La LNI se déclare ravie.
Nouveaux montants ?
L’un des principaux pôles de la nouvelle politique culturelle est l’aide à la création, la production et la diffusion. Pour réaliser cette orientation globale, sur 142,8MS, ce sont un peu plus de 112 millions qui iront directement à la SODEC et au CALQ. Si ces chiffres peuvent paraître impressionnants, il est à noter que pour plusieurs, comme la BAnQ, l’écart entre les coupures des dernières années et les réinvestissements annoncés sont très faibles, voire encore négatifs.
L’accès à ce financement pourrait poser problème pour ceux et celles qui n’ont pas le statut nécessaire pour être financé.e.s par ces institutions. Rappelons tout de même l’objectif 2.2 qui valorise la souplesse des balises qui encadrent ce soutien. Les acteur.ice.s culturel.le.s qui ne font pas de production – tels les organismes de concertation – ne sont pris.es en compte par aucune de ces mesures. Notons tout de même que l’intention de « Prendre appui sur les initiatives culturelles des municipalités » (Objectif 3.4) et d’« Établir un nouveau partenariat avec les gouvernements de proximité en matière de culture et de langue » (Mesure 28) dont fait état la politique culturelle pourrait ouvrir la porte aux négociations. Privilégié.e.s que nous sommes en tant que Montréalais.e.s, un montant spécial est également prévu pour soutenir la vitalité culturelle de notre ville.
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Nous espérons que des actions concrètes suivront le plan proposé hier. Bien que cette politique culturelle ne soit pas encore une politique gouvernementale non partisane – selon Philippe Couillard cité par Le Devoir, « si la politique n’apparaît pas dans le cadre financier d’un des partis, vous pourrez conclure sur leur niveau d’engagement par rapport au milieu culturel », c’est assez dire pour l’électoralisme – certaines idées mises de l’avant dans ce projet sont à retenir. L’amélioration des conditions de vie des artistes, artisan.e.s et travailleur.se.s culturel.le.s est un enjeu crucial pour la société québécoise. Les investissements en culture sont nécessaires et profitent à tou.te.s économiquement et humainement. Bien plus que du rattrapage, de vrais progrès doivent être accomplis.
Voir ou revoir
Plan d’action gouvernemental en culture 2018-2023
Le dévoilement en Facebook Live
Un résumé : « La culture québécoise bénéficiera de 600,9M », Radio-Canada
Témoignages à Midi Info
Un texte de Virginie Savard
Ce texte est d’abord paru dans notre infolettre.
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